Ce texte vise à vous permettre de mieux comprendre les besoins de sommeil à l’adolescence, et ainsi évaluer plus justement les plaintes de somnolence excessive formulées par maints adolescents. (…) Le problème de somnolence touche un pourcentage élevé d’adolescents; d’apparence banale, la somnolence peut en outre camoufler des troubles de sommeil sévères qui sont méconnus et dont la morbidité est élevée.
Prévalence de la nécessité accrue de sommeil
Selon Morrison et al (1992), 25,3 % d’un échantillon de 943 adolescents âgés de 15 ans affirment avoir besoin de plus de sommeil; cette proportion varie de 54,3 % à 74,5 % selon Strauch et Meier (1988) qui ont étudié un échantillon de 190 adolescents sur une période de 10 ans. Ces auteurs retrouvent parmi ces adolescents insatisfaits de leur sommeil une augmentation relative d’anxiété, de dépression, de trouble de l’attention avec hyperactivité et des troubles de conduite, comparativement aux adolescents satisfaits de leur sommeil. Ce taux élevé d’insatisfaction face au sommeil peut refléter un changement dans les habitudes de vie de l’adolescent; mais il peut aussi signaler l’ installation d’une pathologie du sommeil. En effet on note au cours de l’adolescence une réduction importante du temps de sommeil. Strauch et Meier font état d’une réduction de deux heures du temps passé au lit les nuits de semaine : la moyenne est de 10 heures à l’âge de 10 ans et de 8 heures à l’âge de 19 ans.
Réduction du temps de sommeil à l’adolescence
L’étude de Klackenberg (1982) estime la durée du sommeil des enfants de 6 ans de 9,5 heures, et celle des adolescents de 15 ans de 7 heures, en accord avec Caskadon et Dement (1987) qui estiment la durée du sommeil des adolescents de 12 ans (Tanner stades 1 et 2) de 9,1 heures et des étudiants de 19 ans de 7,2 heures.
Face à ces observations, il est légitime de se demander si le besoin accru de sommeil de l’adolescent n’est pas simplement le reflet d’une privation chronique de sommeil. L’irrégularité des horaires de sommeil contribue aux troubles de sommeil en favorisant l’insomnie et en occasionnant des désynchronisations entre le sommeil et divers rythmes biologiques.
Rôle de la privation chronique de sommeil
L’augmentation du temps de sommeil les jours de congé appuie l’hypothèse d’une privation chronique de sommeil chez les adolescents. De plus, les valeurs moyennes du test itératif d’endormissement (TIE)* s’élèvent et se normalisent dans certains cas lorsque l’adolescent peut dormir tout son soûl. Carskadon et Dement ont étudié le sommeil de 27 adolescents pendant sept années. Lors des enregistrements de sommeil, 10 heures de sommeil leur sont accordées, ce qui ne reflète pas nécessairement la durée habituelle de leur sommeil. Lorsque les adolescents passent des stades Tanner 1 à 5 (de 10,5 ans à 16,9 ans), la durée du sommeil n’est pas modifiée (moyenne de 9,1 heures) bien que les valeurs obtenues au TIE diminuent d’environ 80 % (elles passent d’un intervalle de 20 à 15 minutes à un intervalle de 15 à 10 minutes).
Les auteurs concluent que les adolescents n’ont pas une diminution du besoin de sommeil. Selon eux, les deux nuits passées en laboratoire devraient suffire à effacer la dette de sommeil dont pourraient souffrir les adolescents.
Persistance des valeurs faibles au test itératif d’endormissement
Ainsi, la persistance de valeurs faibles au TIE signifie, selon les auteurs, la possibilité de troubles de vigilance chez un sous-groupe d’adolescents. On peut cependant critiquer le fait que deux nuits en laboratoire ont été jugées suffisantes pour faire disparaître une possible privation de sommeil. Il n’est pas certain qu’une privation chronique de sommeil, de l’ordre de plusieurs mois voire plusieurs années, disparaissent après deux bonnes nuits de sommeil comme c’est le cas pour les privations de sommeil de quelques jours.
*Le test itératif d’endormissement (TIE) est un test objectif d’évaluation de la somnolence. Il utilise les méthodes standards d’enregistrement du sommeil en laboratoire. Le TIE mesure la capacité d’un sujet à s’endormir dans une chambre calme et sombre au cours de 5 siestes séparées par des intervalles de 2 heures. Contrairement aux tests de performances, le TIE n’est pas sensible à la motivation du sujet. Le test a été validé dans de multiples situations cliniques et expérimentales. Un délai moyen d’endormissement aux siestes supérieurs à dix minutes est considéré normal. Un délai moyen de moins de sept minutes est pathologique, et peut s’observer en présence de narcolepsie, d’apnée du sommeil, d’hypersomnie idiopathique ou de privation de sommeil extrême; mais il va de soi que le test doit s’interpréter à la lumière de la clinique et tenant compte de l’agenda de sommeil du patient et des trouvailles faites lors de l’enregistrement de la nuit.