Troubles du sommeil et santé mentale

Godbout_Roger

Par Roger Godbout, Ph.D.en psychologie Professeur titulaire, Département de psychiatrie,
Université de Montréal

Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal
Laboratoire de recherche sur le sommeil

Psychologue responsable de la clinique d’évaluation diagnostique des troubles du sommeil
de l’hôpital Rivière-des-Prairies

Extrait de l’article  » L’impact du sommeil sur la santé mentale »
Psychologie Québec – Janvier 2004

Il ne fait aucun doute que les troubles du sommeil sont particulièrement fréquents chez les patients qui présentent des psychopathologies. L’insomnie est souvent observée chez les patients présentant des diagnostics de phobie, de névrose, d’angoisse ou de troubles de la personnalité. De plus, des troubles d’endormissement et de maintien du sommeil apparaissent fréquemment chez les patients qui manifestent des épisodes psychotiques aigus.

C’est l’organisation du sommeil dans la dépression qui a suscité le plus de recherches en laboratoire. Les études montrent que le sommeil est fragmenté et raccourci pendant la dépression unipolaire. Dans la dépression bipolaire par contre, on peut remarquer un sommeil prolongé durant la phase dépressive et un sommeil dramatiquement raccourci pendant la phase de manie. Certains auteurs ont suggéré que des modifications de l’organisation du sommeil pouvaient précéder les modifications de la symptomatologie diurne, soit le passage de la dépression à la manie.

Parmi les autres modifications de l’organisation du sommeil qui ont été plus spécifiquement constatées dans la dépression unipolaire et bipolaire, on note la coexistence d’une augmentation dans la quantité de sommeil paradoxal, la présence d’importantes bouffées de mouvements oculaires rapides (souvent appelées « orages oculaires ») et la diminution du sommeil lent profond. Ces caractéristiques du sommeil des patients déprimés pourraient avoir un intérêt diagnostique, notamment pour distinguer les dépressions primaires des dépressions secondaires, lesquelles apparaissent souvent avec une maladie organique du cerveau, particulièrement chez la personne âgée. Le sommeil chez la personne âgée est en effet fragmenté, mais on note une latence normale du sommeil paradoxal et une diminution de la durée de ce stade. Par ailleurs, certains auteurs ont constaté, dans des syndromes cérébro-organiques, une diminution de la densité des mouvements oculaires au cours du sommeil paradoxal.

Le signe prépondérant de l’organisation du sommeil dans les maladies affectives reste toutefois la désorganisation du sommeil paradoxal. On a démontré par exemple que l;a latence au sommeil paradoxal était raccourcie autant dans la dépression unipolaire que bipolaire, et certains ont même avancé que ce phénomène pouvait représenter un « marqueur biologique » spécifique de la dépression endogène. Les études ultérieures remettent cependant en question cette spécificité et montrent que des changements semblables pourraient être observés dans la schizophrénie et chez certains sous-groupes de patients anxieux (Benca et al., 19920). Néanmoins cette observation demeure intéressante au plan clinique puisqu’il est inhabituel d’observer de courtes latences au sommeil paradoxal dans la population normale.

La littérature sur le sommeil dans les psychopathologie autres que la dépression est moins abondante. Le sommeil dans les phases aiguës de la schizophrénie présente une structure qui ressemble à celle des patients déprimés : insomnie, déclenchement rapide du sommeil paradoxal (quoique sa durée est normale), appauvrissement du sommeil lent profond (Chouinard et al., 2004 ; Poulin et al., 2003). On suggère que les troubles d’insomnie seraient attribuables à un état anxieux alors que les troubles du sommeil lent profond et du sommeil paradoxal pourraient être attribuables à un désordre des rythmes biologiques. Il est à noter que, comme dans la dépression, les variables du sommeil entretiennent des relations statistiques significatives avec les échelles cliniques.

Comme nous l’avons évoqué plus haut, hypervigilance et insomnie vont manifestement de pair dans les troubles anxieux. En fait, il serait plus parcimonieux d’affirmer qu’il existe un recoupement important entre l’anxiété et les troubles du sommeil, et plus particulièrement avec l’insomnie. Les études du sommeil en laboratoire montrent que certaines caractéristiques sont fonction du sous-groupe diagnostique.

Dans le cas de l’anxiété généralisée, les troubles du sommeil et le manque de repos constituent un facteur associé essentiel au diagnostic. Les études en laboratoire montrent des difficultés d’initiation et/ou de maintien du sommeil mais un délai normal d’apparition du sommeil paradoxal. La littérature diverge en ce qui concerne le sommeil chez les personnes qui souffrent d’un trouble de panique. Les signes d’insomnie en tant que tel ne font pas l’unanimité mais la plupart des études  montrent une augmentation de l’activité motrice au cours du sommeil alors que les attaques de panique nocturnes refléteraient une condition plus sévère, peut-être associée à un état dépressif sous-jacent. (Craske et al., 2002 ; Labbate et al., 1994).

En ce qui concerne les personnes qui souffrent de phobies sociales ou d’un trouble obsessif-compulsif, le sommeil ne constitue pas pas une composante centrale de la symptomatologie, quoique l’anxiété d’anticipation puisse se révéler un facteur précipitant. L’état de stress post-traumatique est sans doute la condition qui a reçu le plus d’attention récemment. Il semble que cette condition soit associée à deux types complémentaires de troubles du sommeil : les cauchemars récurrents associés à l’événement traumatique et l’insomnie en tant que telle (Germain et Nielsen, 2003) et reflètent un état d’hypervigilance.